Faire innover la compassion : hommage au Dr Stephen Liben

Dr. Stephen Liben pictured with Dr. Christina Vadeboncoeur (left) and Grujit Sangha, Co-chairs of the Canadian Network of Palliative Care for Children, at the CHPCA Conference.

Le 12 octobre 2023, lors du congrès de l’ACSP à Ottawa, le Dr Stephen Liben, professeur à la faculté de médecine de l’Université McGill et directeur de l’équipe de soins avancés pédiatriques (ESAP) et des soins palliatifs à l’Hôpital de Montréal pour enfants depuis 1995, a reçu le Prix d’excellence en pédiatrie de l’ACSP et du Réseau canadien de soins palliatifs pour les enfants en reconnaissance de son dévouement envers les soins palliatifs pédiatriques et de sa contribution à ce domaine au Canada.

Or, bien que sa carrière témoigne bel et bien de son engagement envers les soins palliatifs pédiatriques, et certainement la médecine en général, ce n’est pas un désir profond de changer le monde ou d’imiter un modèle quelconque qui l’a poussé à se lancer en médecine. Non, ses motivations étaient plutôt d’un ordre tout à fait pratique.

« La sécurité a toujours été très importante pour moi parce que j’ai grandi dans un foyer instable, d’expliquer le Dr Liben. J’avais de bons résultats à l’école, alors m’inscrire à l’école de médecine et devenir médecin me semblait une façon stable et respectable de gagner ma vie. »

Stephen Liben a commencé sa résidence à l’Hôpital de Montréal pour enfants (HME). Il s’est tout de suite senti chez lui à cet hôpital où il a trouvé une communauté tissée serré et un climat agréable. Il interagissait de près avec les enfants malades et leurs parents, en particulier à l’unité des soins intensifs pédiatriques. Il en est venu à apprécier profondément l’importance de ce travail, et ses expériences de prestation de soins aux enfants gravement malades et leur famille l’ont mené aux soins pédiatriques. « Une partie de moi a toujours été attirée par ce qui est plus sérieux, plus lourd de conséquences, explique le médecin. J’étais à la fois effrayé et très attiré par le côté exaltant des soins intensifs, et c’est donc dans ce domaine que j’ai fini par me spécialiser. »

Son expérience à l’unité des soins intensifs pédiatriques et à l’Hôpital de Montréal pour enfants lui a ouvert les yeux sur les lacunes du système de santé et sur la souffrance souvent inutile. « Les enfants étaient traités parce que c’était ce qu’il fallait faire, mais pas pour le mieux-être de l’enfant ou de sa famille, raconte-t-il. Parfois, tous les cliniciens savaient qu’il restait très peu de temps à un enfant, et ce temps était souvent gaspillé par des tests et des traitements inutiles, voire douloureux. » À la suite de ses observations à l’unité des soins intensifs pédiatriques, le Dr Liben a commencé à faire de petites interventions visant explicitement à réduire la souffrance. « Le simple fait de poser des questions comme “Pourquoi ne pourrions-nous pas laisser cet enfant retourner chez lui aujourd’hui, puisque c’est ce qu’il désire le plus au monde?” déclenchait une série de décisions qui, ensemble, menaient au retour à la maison beaucoup plus tôt, ce qui est très important pour un enfant qui n’a peut-être que quelques jours à vivre. » De petits gestes faisaient une différence considérable pour les enfants et les familles qu’il soignait, ce qui lui a ouvert les yeux sur de nouvelles possibilités dans sa pratique de la médecine.

« J’ai constaté que le fait de changer ma façon de communiquer avec les parents et de les aider à faire face à la fin de vie, à la mort et à la souffrance avait un impact réel sur les gens, explique-t-il. Et en devenant un meilleur communicateur, j’ai vu émerger un nouveau domaine multidimensionnel qui me permettrait de m’engager envers les familles de la même façon qu’à l’unité de soins intensifs, mais d’une manière qui est moins axée sur la technologie et plus centrée sur les valeurs profondes des enfants et des parents. »

Le passage du Dr Liben à la pratique en tant que directeur des soins palliatifs pédiatriques à l’Hôpital de Montréal pour enfants était une chose rare à l’époque puisque ce domaine n’en était qu’à ses balbutiements. Toutefois, il n’hésite pas à souligner qu’il était loin d’être le premier praticien à intégrer ce domaine. « Une bonne amie à moi, à Halifax, la Dre Geri Frager, travaillait également dans ce domaine, et nous échangions souvent des notes et parlions de cas difficiles, se souvient le médecin. J’ai également passé du temps avec la Dre Ann Goldman, au Royaume-Uni. En fait, lorsqu’on m’a offert le poste à l’HME, j’ai insisté pour qu’on m’envoie à Londres pendant un mois pour étudier avec elle, sinon je ne l’accepterais pas! »

Le progrès, le changement et l’innovation sont particulièrement importants pour Stephen Liben, qui a beaucoup appris, tout au long de sa carrière, sur ce qu’il faut faire pour tracer la voie vers l’avant.

« Au fil des ans, j’ai appris qu’il fallait trois éléments pour faire changer les choses : de la patience, le sens du timing et encore de la patience. Je n’avais pas encore compris cela au début de ma carrière; j’ai poussé très fort et j’ai gaspillé beaucoup d’énergie. »

Il se souvient d’une époque où l’Hôpital de Montréal pour enfants n’offrait pas de programme de soutien au deuil pour les parents, alors que de nombreux autres établissements au pays le faisaient. Voyant cela, le Dr Liben a présenté demande après demande pour obtenir du financement pour mettre sur pied un tel programme, mais elles ont toutes été rejetées. « Mais un jour, un parent s’est plaint à l’hôpital de n’avoir pas reçu de soutien pendant son deuil, se souvient-il. Et comme mes demandes étaient déjà préparées, j’ai pu aussitôt mettre les choses en marche et obtenir les fonds nécessaires. Patience et timing.» Sa ténacité a fini par payer.

En tant que praticien des soins palliatifs pédiatriques de la première heure, le Dr Liben a participé à de nombreuses innovations et à d’importants jalons dans le domaine. Et même s’il n’aime pas se qualifier de « fier », il est extrêmement reconnaissant d’avoir fait partie de deux projets en particulier, dont la fondation du premier centre de soins palliatifs pour enfants à Montréal : Le Phare.

« Il y a près de 30 ans, deux ou trois collègues et moi-même allions luncher ensemble pour discuter de la nécessité d’avoir un centre de soins palliatifs pour enfants à Montréal, raconte-t-il. Parce que nous étions en retard sur les autres au Québec. » Grâce à leurs efforts de l’époque, Le Phare soutient depuis près de 25 ans maintenant les enfants atteints de maladies mortelles et leurs proches. « Je suis très heureux que cet endroit existe pour les enfants et les familles. Non seulement pour les soins de fin de vie, mais aussi pour les services de répit et tout ce que Le Phare fait pour les enfants de la région de Montréal. »

Le Dr Liben a également contribué à faire reconnaître les soins palliatifs pédiatriques comme surspécialité par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. « Cela signifie qu’il faut désormais deux ans de formation officielle pour faire ce que je fais – il ne suffit plus d’aller à Londres et de côtoyer quelqu’un pendant un mois! Je suis vraiment fier d’avoir joué un petit rôle dans ce mouvement parce que c’est comme un sceau d’approbation, un indicateur de rigueur et de normes, et en fait, un signe de respect pour le domaine. »

La souffrance est universelle, et bien que les praticiens des soins palliatifs travaillent à la diminuer, ils ne sont pas immunisés contre elle. Lors de son propre parcours de rétablissement, le Dr Liben a découvert que la pleine conscience et la méditation sont inestimables. « Comme la plupart des gens, j’ai essayé ces approches parce que je souffrais et que je n’en pouvais plus, et j’étais donc prêt à essayer n’importe quoi, même quelque chose d’aussi farfelu que la méditation. Ça ne règle rien en soi, mais ça aide à accepter les choses telles qu’elles sont. Et c’est ça qui diminue la souffrance. »

Avec une pile de livres sur la pleine conscience sur sa table de chevet, le médecin s’est demandé comment il pourrait intégrer la pleine conscience dans son travail de professeur et de praticien des soins palliatifs.

« C’est ainsi que Tom Hutchison, un collègue, et moi avons mis au point un cours sur la pleine conscience, et nous avons convaincu l’Université McGill de le rendre obligatoire pour tous les étudiants en médecine, raconte-t-il. Tous les médecins en formation doivent maintenant le suivre, et bien qu’il traite de pleine conscience, il porte en fait sur la communication et la façon de gérer les émotions complexes auxquelles sont confrontés tous les médecins. »

Le cours vise à rendre les médecins de demain plus heureux, plus compatissants et plus humains – une facette de la pratique médicale qui est souvent négligée. Les compétences enseignées aident les médecins à manœuvrer dans leurs difficiles discussions avec les patients et familles, surtout lorsqu’il s’agit de discuter de la fin de vie et de la mort.

La mort est décidément le plus grand des tabous, et la pleine conscience aide un peu à créer un espace dans lequel avoir ces conversations incontournables, explique le médecin. En soins palliatifs pédiatriques, oui, nous traitons les symptômes, mais ce n’est pas la partie difficile du travail. Ce qui est le plus difficile, c’est d’avoir affaire à des gens qui refusent d’accepter ce qui se passe déjà et ce qui s’est déjà passé. »

L’amélioration des compétences des praticiens en communication constitue une grande partie de l’espoir du Dr Liben pour l’avenir des soins palliatifs – un avenir où l’humanité et l’empathie sont les priorités, autant ou même plus que les interventions ou la précision technique. « Je crois qu’il faut élever les attentes en ce qui concerne les habiletés en communication de tous les professionnels de la santé. Non seulement nous devons commencer à enseigner aux étudiants les difficultés qu’ils rencontreront en matière de communication et la manière de les surmonter, mais nous devons également continuer de leur enseigner ces notions tout au long de leurs études et pendant leur résidence. »

Le Dr Liben a pu constater, à maintes reprises, les répercussions de l’établissement de relations et d’une communication empreinte d’humanité et de compassion sur les enfants et les familles dont il s’occupe.

« La partie préférée de mon travail est d’entrer en lien avec les gens, de créer des liens réels avec les gens, et de voir qu’on peut réellement changer les choses pour quelqu’un, explique le médecin. C’est lorsque vous allez aux funérailles d’un enfant et que tous les proches vous serrent dans leurs bras, vous présentent à tous les invités et vous remercient pour ce que vous et votre équipe avez fait. C’est presque gênant, mais ça confirme le fait que vous avez eu une incidence positive pendant une période extrêmement difficile de leur vie. »

 

Félicitations au Dr Stephen Liben pour ce prix bien mérité. Maintenant qu’il se tourne vers la semi-retraite, il laisse derrière lui un legs d’innovation, de collaboration et de dévouement envers le bien-être des patients en soins palliatifs partout au Canada.

 

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